Le diner

Novembre 2062

Quelque part en banlieue parisienne

Javel ferma son commlink d'air écœuré. L'affaire tournait vinaigre comme disait sa grand-mère. Elle venait de terminer sa veille quotidienne sur le groupe. Une saine habitude relevant plus de l'hygiène qu'autre chose : débusquer toute information compromettante pour l'équipe publiée sur la matrice. Le souci, c'est que maintenant, tout était compromettant. Elle était surprise chaque matin de ne pas se réveiller avec un canon d'un flic du RAID sur la tête.

Il faut dire que la dernier job ne s'était pas vraiment déroulé comme prévu. Ils avaient une poisse comme on en faisait plus et qui pouvait vous amener directement au cimetière. Que l'agent d'accueil se trompe de numéro de réservation sur cette chambre-là, c'était vraiment scandaleux. Javel avait d'ailleurs bien fait sentir son opinion sur le P2 du Carlton de Lille. Sous le couvert d'une série de profils anonymes, elle s'était déchainée pendant quasiment 1 semaine. A tel point que la direction du Carlton avait dû jeter un de ses responsable en pâture aux media qui avait présenté ses excuses en public. En son for intérieur, Javel avait accepté les excuses avant d'aller s'offrir une petite distraction au Mystère. Ce soir-là, on lui avait mis un homme politique. Ils en avaient eu tous les deux pour leur argent.

Toujours est-il que le sirupeux et répugnant Gérard Bensoussan souhaitait les voir. Que l'intermédiaire à la moralité de crotale accepte encore de leur parler la mettait mal à l'aise. Mais ils n'avaient pas le choix. Et puis, si Zborg prenait bien la situation, 13 semblait accuser le coup. Il savait ce que voulait dire vivre en clandestinité mais plutôt en théâtre d'opération et se voyait déjà retourner dans les Balkans ou à la frontière russo-polonaise. Ce qui n'était pas vraiment dans les projets de Javel. Du coup, ils avaient accepté à contrecœur de rencontrer “l'ami” de Gérard.

Au NéoQueen.

A 5 heures du matin.

NéoQueen, 5 heures du matin

Pierre de Rohan, ci-devant héritier de la famille de Rohan, branche Chabot, plus commodément appelée branche Rohan-Chabot, termina son rail de novocaïne sur le postérieur d'une parfaite inconnue avant de se tourner vers ses invités, congédiant la jeune fille d'une tape sur la fesse affectueuse.

Le groupe se trouvait dans un des salons privés de l'historique boîte de nuit parisienne. Pour se renouveler, elle proposait des services rappelant tout aussi bien des love hôtels japonais, avec thèmes à l'appui. Celui de ce soir était la jungle.

Javel regarda d'un air navré et vaguement méprisant le rejeton nobliau qu'elle avait sous les yeux. Elle n'était pas vraiment contre la bagatelle, loin de là, mais le boulot c'était le boulot. Pierre de Rohan se tourna vers eux avec les yeux brillants, comme un enfant un matin de Noël.

“Ah, c'est vous dont m'a parlé mon excellent ami Gérard. L'équipe de choc !

-Nous avons joué de malchance,… commença 13

-Ne soyez pas modeste, un coup splendide, bien qu'un peu bruyant, je dois admettre…

-Ça… Si vous savez qui nous sommes, pourquoi vous acceptez de nous rencontrer ? fit Javel, suspicieuse

-Parce que j'ai besoin de gens comme vous !

Même Zborg, pourtant de bonne composition, haussa un sourcil, perplexe

-Voilà, j'ai sur les bras une série de besoins très spécifiques en matière de politique extérieure, voire intérieure parfois. Et je manque de gens de confiance. Notre milieu est un peu… petit.

-Vous et les autres nobles êtes une bande de dégénérés qui auraient des leçons à donner aux Borgia, vous voulez dire ? lança sèchement Javel sous le regard terrifié de ses acolytes

Le noble ne parut pas s'offusquer de la pique et se contenta de sourire amèrement.

-C'est exactement ça, conclut-il, la confidentialité est une préoccupation importante dans cette histoire. Ainsi que la loyauté. Je pense que vous appréciez maintenant la première et que je peux m'assurer de la seconde.

Il m'énerve à s'écouter parler.

Vu qu'elle était lancée et qu'il semblait bien l'aimer, Javel continua :

-Pour la confidentialité, je vois, on aimerait bien se faire oublier. Pour la loyauté, vous avez quoi en stock ?

-Le juge Abdelmalek est connu pour son intransigeance. Il a à sa disposition des services de police aux moyens importants. A l'heure qu'il est, une vingtaine de personnes vous recherchent. Vous ne vous êtes pas demandés pourquoi vous étiez toujours en liberté ?

-Si, justement.

-Disons que j'ai certains leviers sur le bon juge. Ce que je vous propose, c'est que vous allez travailler pour moi et pendant ce temps, disons que… d'autres pistes seront explorées.

-Mais les caméras… fit 13

-Oui, c'est ça qu'il a fallu gérer le plus vite possible. Le reste ne pose pas vraiment de problème. Comment est votre thaïlandais ?

-Pardon ?! firent les membres du groupe

Le jeune noble au nez plein de poudre et aux oreilles pointues chargées de piercings leur exhiba trois billets d'avion RA.

-Vous partez demain, leur annonça-t-il avec un sourire en tranche de courge.

Si je dis que je ne le sens pas, on va encore dire que je râle, pensa Javel.