Tout est au Duc - Zenigata/pantoum GitHub Wiki

Le navire accoste au quai,
Je suis invité
Chez le Duc
De Montmorency
Qui demeure ici.
Château, villas, maisons superbes
Jardins fleuris,
Bel aqueduc,
Jeunes poulains sautant les herbes,
Tout cela, tout cela est au Duc
Et sur les marches du perron
Douze laquais chantent en rond :

« Attention !
Tout est Duc ici, Monsieur,
Tout est Duc,
Tout est au Duc,
Tout est au Duc.
Il possède à lui seul des millions de ducats
Ah oui, vraiment monsieur,
C'est fou ce que le Duc a !
Le Duc a tout, monsieur,
Pour être un homme heureux
Mais le Duc est très malheureux :
Depuis vingt ans
Il a perdu ses cheveux.
Il nerveux, il est nerveux
Et nous cherchons, en vain, depuis un truc
Pour faire pousser les poils du Duc. »

Le soir, c'est un grand dîner
Car le Duc a tué
À la chasse des isards,
Des pies, des lézards.
La Duchesse est une jeune femme
Qui n'a pas plus de vingt printemps
Et moi je suis tout feu tout flamme
Et je ne tiens plus mon cœur battant.
Mais sur les marches du perron,
Les mêmes laquais chantent en rond :

« Attention !
Tout est Duc ici, Monsieur,
Tout est Duc
Tout est au Duc,
Tout est au Duc.
Il tue les gens qui osent à sa femme dire "tu".
Ah oui, vraiment monsieur,
C'est fou lorsque le Duc tue !
Le Duc a tué déjà plus de trente rivaux.
Il leur a bouffé le cerveau.
Alors tant pis pour vous, mon cher monsieur,
Si vous êtes trop audacieux
Songez, hélas, qu'on peut devenir eunuque
En recevant le pied du Duc. »

Quand je revins au château
On me dit bientôt :
« Vous trouverez du changement,
Depuis vingt-cinq ans ! »
Papiers timbrés, huissiers terribles
Saisies-arrêts du percepteur
Murs délabrés, trucs impossible,
Tout cela, tout cela, quel malheur !
Et sur les marches du perron
Un seul miteux chantait en rond :

« Déception !
Rien n'est au Duc
Ici, monsieur,
Rien n'est au Duc.
Rien n'est au Duc,
Rien n'est au Duc !
Elle lui a mangé son argent la p'tite nana
Ah oui, vraiment monsieur,
C'est fou ce que le Duc n'a
Le Duc n'a rien, monsieur !
Nos bas sont rapiécés,
Nos culottes sont toutes froissées.
Nous avons faim,
Nous sommes capables de tout
Et s'il n'y a rien,
Plus rien du tout
Il faudra bien qu'on lui fauche sa perruque
Et nous boufferons les poils du Duc. »


Charles TRENET (1936)