L'Invitation au voyage - Zenigata/pantoum GitHub Wiki

      Mon enfant, ma sœur,
      Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
      Aimer à loisir,
      Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
      Les soleils mouillés
      De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
      Si mystérieux
      De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

      Des meubles luisants,
      Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
      Les plus rares fleurs
      Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
      Les riches plafonds,
      Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
      Tout y parlerait
      À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

      Vois sur ces canaux
      Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
      C’est pour assouvir
      Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
      — Les soleils couchants
      Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
      D’hyacinthe et d’or ;
      Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.


Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal (1857)